Financer le business à impact en 2020

Financer le business à impact en 2020

Le 25 février dernier, le Forum de l’Innovation Technologique et de la Transformation (FITT France) et l’INSEAD Alumni Association France (IAAF) organisaient la Rencontre

 

Business à impact : Comment le financer ?

 

Les intervenants invités par les deux associations à débattre étaient :

Christian Lim, Founding Partner, Blue Oceans Partners

Clémence de Rothiacob, gérant du fonds Richelieu CityZen, Richelieu Gestion

Antoine Sire, Director of Company Engagement & Member of the Board, BNP Paribas

Prof. Hans H. Wahl, Director of the INSEAD Social Entrepreneurship Initiative, INSEAD

 

Ce débat était la 6° Rencontre annuelle de FITT France consacrée à l’impact et s’inscrivait dans l’initiative Business & Society de l’IAAF, en ligne avec les dix-sept objectifs de développement durable des Nations Unies et à la suite du ChangeNOW Summit de Paris

En ouverture du débat co-animé par Sophie Boyer Chammard (IAAF) et Patrick Giry-Deloison (FITT France), ce dernier a cité l’étude du GIIN (Global Impact Investing Network) : « Si l’impact investing représente à ce jour déjà  502 milliards $, chiffre tout-à-fait significatif, cela ne représente néanmoins que moins de 1% des actifs sous mandat dans le monde ».


Les trois défis de l’investissement à impact : évaluation, standardisation, passage à l’échelle

Le Prof. Hans H. Wahl a ouvert les débats en rappelant qu’il existe quatre types d’investissements :

    • L’investissement traditionnel,
    • L’investissement responsable, économique, social et environnemental
    • L’investissement basé sur des valeurs
    • L’impact investing, ou investissement dans des entreprises à impact positif

 

Selon lui, l’investissement dans une entreprise à impact positif soulève trois questions :

    • L’évaluation de l’investissement: Nous sommes performants dans la mesure où nous pouvons mesurer cette performance, or il est difficile de mesurer la performance non financière ; comment évaluer les sociétés en fonction de leur bénéfice social et environnemental ?
    • La standardisation des indicateurs de performance : Comment savoir ce qu’est un « bon investissement », et avoir des unités de mesure objectives et partagées par tous, comme les normes comptables sont un instrument de mesure des performances financières ?
    • Le passage à l’échelle: comment les initiatives de certains, qui se multiplient, peuvent-elles devenir la norme pour tout le monde ? Si l’on constate une réelle prise de conscience quant au besoin de transition vers des activités à impact positif, cette transition est-elle assez rapide et généralisée ?

 

Les dix-sept objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU sont la référence commune pour tous les acteurs (gouvernements, entreprises, ONG, Fondations, citoyens, …). Le Prof. Hans H. Wahl a rappelé « (que) pour ce qui concerne l’investisseur, sa propre activité, comme celle des entreprises dans lesquelles il investit, se doit d’être pérenne et rentable, à la fois du point de vue économique comme du point de vue social, sociétal et environnemental ».

 

Comment respecter cet objectif d’impact positif pour un financeur ?

Prof. Hans H. Wahl, Clémence de Rothiacob

Clémence de Rothiacob a expliqué que Richelieu Gestion, qui investit dans les actions d’entreprises cotées, exclut les énergies fossiles et le tabac. « Nous favorisons aussi la transition en valorisant les efforts d’amélioration de l’entreprise pour améliorer son impact » a-t-elle précisé.

Christian Lim a présenté Blue Oceans Partners en disant « nous mobilisons les capitaux privés pour régénérer la santé des océans et atteindre l’ODD 14, en investissant notamment dans les innovations aidant à résoudre les problèmes de la surpêche et de la pollution par le plastique. Nous avons à la fois un un objectif d’impact systémique et de retour sur investissement de marché compétitif. Pour évaluer l’impact des innovations, nous avons mis en place une gouvernance qui comporte un comité d’impact qui a un droit de veto et est composé de spécialistes indépendants».

BNP Paribas, a indiqué Antoine Sire, est engagé dans une transformation et recherche dorénavant l’impact dans toutes leurs activités, notamment sur les sujets de transition climatique, biodiversité, montée des inégalités et rééquilibres territoriaux. D’après lui « Cela demande un modèle différent intégrant des indicateurs différents. C’est une transformation qu’aucune entreprise ne peut faire seule ». Avec pour boussole, les 17 Objectifs de Développement Durable, BNP Paribas a construit une méthodologie avec Vigeo Eiris et a engagé ses cadres dirigeants dans un programme de formations de grande ampleur.

En termes de mesure de performance, BNP Paribas s’est fixé des objectifs de transformation en fonction des ODD :

    • Les objectifs de financement des énergies renouvelables, par exemple, ont été dépassés (1erEuropéen et 3ème mondial).
    • BNP Paribas veut être une grande banque de l’économie sociale et solidaire. Elle a créé des processus de risque spécifiques, formé des spécialistes de l’ESS (l’ESS représente 10% du PIB français). Là encore les objectifs fixés ont été dépassés.
    • Une logique d’exclusion sur certains secteurs, soit immédiatement (fracturation hydraulique, schiste, énergies issues de sables bitumineux), soit en accompagnant la transition et les programmes de développement alternatifs. BNP Paribas sort progressivement des sociétés d’énergies qui développement des capacités additionnelles au charbon.

 

Néanmoins Antoine Sire rappelle « (que) ceci reste empirique : Comment créer des échelles plus larges pour s’aligner avec les objectifs de Paris ? Toute transformation (toute révolution, puisqu’on parle des défis inhabituels sur la survie de la planète et la capacité de notre monde à être tolérable) induit ses propres indicateurs ; quels sont les indicateurs que l’on va inventer pour accompagner cette transition ? ».

 

Standardisation des indicateurs de performance

Dans son exposé, le Prof. Hans H. Wahl a indiqué que des indicateurs de mesure ont été développés pour certains secteurs. Plus globalement, deux grands systèmes semblent se développer :

    • Le système européen, avec une approche plus structurée et réglementaire
    • Le système américain, comme le système présenté au ChangeNOW Summit à Paris en janvier : Global Impact Investing Network (GIIN).

 

« Il y a beaucoup d’initiatives proposant des normes/standards. La communauté des investisseurs joue un rôle important pour la prise en compte de l’impact dans les critères d’investissements. Citons l’exemple de BlackRock dont le CEO Larry Fink a déclaré: « Profits with a purpose are vital for survivability and profitability » et dont les propos annoncent une réelle tendance de marché » a-t-il précisé.

Pour Christian Lim, l’évaluation purement quantitative est difficile : « Il y a des éléments que l’on peut mesurer de façon quantitative, comme l’émission de gaz à effet de serre. Mais beaucoup d’éléments sont qualitatifs et plus difficiles à évaluer ou standardiser, comme l’impact sur la biodiversité. En plus, il faut consolider les impacts positifs et négatifs et analyser le résultat global du projet, tout au long de la chaîne de valeur ».

À ce propos, Clémence de Rothiacob fait un parallèle avec les agences notations de crédit, pour lesquels il y a des indicateurs standardisés et des agences indépendantes de notation (S&P et Moodies). « Pour l’ISR, on peut se faire aider pour la collecte des données mais l’analyse des données reste complexe. La seule base commune et précieuse est le cahier des charges défini dans les Objectifs de Développement Durable ».  Pour avoir le label ISR, il faut expliquer comment on mesure l’impact et le résultat, mais il reste un flou important pour les fonds qui n’ont pas de label. Même si l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) encadre davantage, il n’y a pas de standards aujourd’hui.

Côté critères, de plus en plus d’entreprises montrent l’impact positif qu’elles peuvent générer. Elles ont besoin de communiquer sur l’impact positif pour obtenir des financements. Ainsi Danone a publié ses 169 cibles qui prennent en compte les trois aspects du développement durable et s’articulent autour des 17 objectifs de développement durable.

Antoine Sire fait néanmoins remarquer « (qu’) il y a deux sortes d’entreprises : les entreprises « très green » dont le cœur de l’activité est à impact positif et les entreprises très « brown » (ex : charbon) ». Entre les deux il y a une multitude d’entreprises dont il faut accompagner la transition.

Parmi les initiatives de BNP PARIBAS, citons l’émission de « sustainability linked loans », dont le prêt est lié à l’atteinte par les entreprises d’un certain nombre d’ODD. Elle a ainsi prêté à Solvay, chimiste qui s’est engagé à réduire l’ensemble de ses émissions de gaz à effet de serre. A son sens, ce qu’il faut mesurer ce sont les efforts vers une transition et l’évolution. Il faut rendre traçable tout ce que l’entreprise fait, quelle que soit l’entreprise, tout comme les normes comptables IFRS rendent traçables les résultats financiers, quelle que soit l’entreprise. Il faut tout documenter et trouver un mélange de bons critères qui permettent apprécier l’impact total de l’entreprise et sa contribution aux accords de Paris. Par exemple, la méthodologie PACTA (Paris Agreement Capital Transition Assessment) permet d’évaluer l’efficacité énergétique, mais il faut aussi prendre en compte l’impact social des évolutions.

Ainsi BNP Paribas met en place de nouveaux instruments répondant à des logiques nouvelles : par exemple le « contrat à impact social » : La collectivité indemnise un sujet d’intérêt général, comme le chômage. Dans ce dispositif une association, en l’occurence l’Adie, apporte de l’aide aux chômeurs pour créer leur emploi et contribue à la baisse de l’indemnisation chômage. L’investisseur aide l’Adie à augmenter son impact et la collectivité rembourse l’investisseur si l’action de l’association est efficace. Le remboursement du prêt est indexé sur la performance sociale. Reste néanmoins la question du passage à grande échelle de ce type d’actions.

Antoine Sire est pragmatique : « Il faut créer un outil de mesure et voir si on peut généraliser ces actions. En l’espèce, on fait décoller l’avion avant d’avoir fini de le construire… ».

 

Passage à grande échelle

Selon le Prof. Hans H. Wahl, « la question du rôle du secteur public pour accélérer la transition est posée. La mise en place des Objectifs de Développement Durable par les Nations Unies est une étape importante et très utile. Une vraie dynamique est maintenant en place. Du côté des entreprises aussi ». Mais il rappelle que l’essentiel est une collaboration entre les pouvoirs publics et les entreprises. On trouve des exemples de collaboration efficace à Singapour, au Canada, en France, et en Allemagne. Des initiatives pour mesurer l’impact commencent à voir le jour et devront permettre mesure et passage à l’échelle.

L’INSEAD Social Entrepreneurship Programme (ISEP) travaille sur de nombreux projet, dont l’un qui a rassemblé un écosystème de parties prenantes (stakeholders) en impliquant une startup innovante, des académiques, une grande entreprise pour permettre le passage à l’échelle, le gouvernement pour donner un cadre de réglementation, et des consommateurs. L’ISEP organise aussi le « Tommy Hilfiger Social Innovation Challenge »  qui a pour objectif de rechercher des améliorations environnementales dans la chaine de valeur, mais aussi des améliorations sociales, comme par exemple, sur les vies des individus producteurs tout en bas de la chaine de valeur mais « le projet doit aussi apporter des revenus financiers pour être viable ».

Christian Lim, Antoine Sire

Pour Christian Lim, les fondamentaux sont là pour que la plateforme d’investissement de Blue Oceans Partners se développe à grande échelle. Ceux-ci incluent entre autres une abondance de « pipeline » de qualité et une demande massive des grandes entreprises pour les innovations que les start-ups apportent.

Le défi pour Christian Lim est celui auquel font face les « first time funds ». Le système financier veut presque exclusivementdes stratégies d’investissement déjà démontrées avant d’investir, or nous avons besoin de nouvelles stratégies pour répondre aux nouveaux défis de notre monde, et naturellement elles n’ont pas le « track record » exigé. Selon lui, nous n’avons pas le temps d’attendre que les standards se mettent en place pour réaliser la transition écologique. Ce changement rapide implique qu’on travaille dans l’innovation, avec de nouvelles stratégies à mettre en place immédiatement. « Les parcours pour les nouveaux fonds devraient être plus faciles ! ».

« L’objectif du fonds Richelieu CityZen est de donner accès au plus grand nombre à des produits à impact. Comme les FCPR, ces produits restent plus risqués car ce sont des placements à plus long terme, qui s’adressent donc à des investisseurs avertis » a indiqué Clémence de Rothiacob. Selon elle l’impact investing reste confidentiel et prendra du temps à se généraliser, mais a vocation à se démocratiser. La révolution a commencé et vient des investisseurs qui sont en demande. Les entreprises se mettent au pas. L’enjeu est une meilleure valorisation en bourse de l’entreprise à impact, qui nécessite de lui donner les moyens de développer l’entreprise et l’impact. Les sociétés de private equity ont un rôle à jouer, et montreront l’exemple aux société cotées. Chaque échelon est important pour développer cet effet d’échelle.

Antoine Sire donne trois exemples de sujets où il faut changer de logiciel pour passer à l’échelle :

    • Penser à l’épargne: Les épargnants sont aussi en demande que leur épargne soit investie dans des projets à impact. La Banque Privée de BNP Paribas propose une offre « MyImpact » pour l’investisseur responsable. Elle interroge l’épargnant sur le type d’impact qu’il souhaite avoir en fonction des ODD. L’impact devient un élément de choix fondamental de l’investissement (no risk no return – il faut pouvoir choisir le niveau de risque et d’impact). Le choix doit reposer sur des impacts réels avec une grille de critères.
    • Développer la coopération entre les acteurs privés, publics, et les ONG et les autres parties prenantes. C’est ce qu’on appelle le financement mixte ou « blended finance», pour financer un problème de bien public. Toutes les parties se mettent autour de la table. Par exemple le « tropical landscape facility » accordé par BNP Paribas, pour financer une plantation de caoutchouc durable destiné aux pneus Michelin, avec WWF et le gouvernement indonésien.

 

Prendre le problème par tous les angles. BNP Paribas a lancé ClimateSeed, une plateforme de compensation carbone, proposant une méthodologie pour aider les compagnies aériennes à réduire de 5% leur utilisation de kérosène. Le projet est sans but lucratif et avec l’appui du lauréat du Prix Nobel de la Paix, le Professeur Muhammad Yunus.

 

Des objectifs d’impact ambitieux mais une réelle dynamique des acteurs économiques engagés

Dans sa conclusion, le Prof. Hans. Wahl a rappelé que nous assistons à un changement profond de la pensée à court terme vers le long terme, tant dans la stratégie commerciale et les opérations que chez les investisseurs qui les financent. Cela a été mené et est particulièrement visible dans le comportement des fonds de pension et des particuliers fortunés et des « family offices » et se déplace progressivement vers les grandes banques et les sociétés d’investissement.

L’apprentissage est un élément clé de la transition d’impact dont nous avons discuté ici aujourd’hui. Cela est vrai pour les innovateurs et les entrepreneurs qui ont besoin d’un grand soutien pour rendre les solutions qu’ils génèrent investissables et leurs start-ups investissables. Cependant, cela est également vrai pour les investisseurs et les grandes entreprises qui ont un besoin urgent de créer de nouvelles approches en matière d’évaluation et de risque qui dépassent la perspective étroite de maximiser le rendement financier.

Enfin, bien que nous accordions une grande attention aux grands marchés d’Amérique du Nord, d’Europe et de Chine, nous ne devons pas négliger certains des changements profonds qui se produisent dans certains des marchés émergents à croissance rapide d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Cela inclut

    • L’obligation dans plusieurs grands pays d’Asie d’allouer un pourcentage des revenus des entreprises à l’impact social;
    • L’interdiction des emballages en plastique dans de nombreux pays d’Afrique (et bientôt, interdiction de tous les plastiques à usage unique au Kenya);
    • La fourniture de soins de santé et de logements sûrs dans de nombreux pays d’Amérique latine et d’Afrique.

 

Le Prof. Hans H. Wahl a terminé en disant « Bien que ceux-ci aient pu être considérés comme ambitieux il y a une décennie ou deux, ce sont maintenant des efforts très significatifs qui sont réalisés afin que les entreprises soient vraiment une force pour le bien ».


Christian Lim, Antoine Sire, Prof. Hans H. Wahl, Clémence de Rothiacob, Patrick Giry-Deloison